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Les mots de Magali.

 Magali (l'héroïne du roman) s'est décidée à écrire pour "exorciser" la souffrance des patients qu'elle accompagne au quotidien (toute ressemblance avec des personnages existants serait bien entendu purement fortuite 😏).

Voici un extrait du recueil de textes qu'elle s'apprête à publier sous le titre de "Racontars médicaux". 

Cécile avait vingt-six ans, une mère toxique, un père fantomatique, une sœur terriblement parfaite, un gentil mari et trois enfants bruyants. Elle avait aussi une lombalgie, un gros crédit sur le dos, une voiture qui tombait trop souvent en panne, un boulot ennuyeux et une méchante dépression. La plupart des éléments de ces listes ayant évidemment en partie engendré le dernier. Il ne s’agirait notamment pas de mésestimer la capacité d’une mère vraiment mauvaise à retirer de votre existence toute propension à la joie.

Elle m’avait raconté tant de fois son enfance, les comparaisons humiliantes avec sa petite sœur, le mutisme de son père et l’absence de la moindre once d’amour que j’avais l’impression de l’avoir vue grandir au milieu de cet immense chaos. Ou plus exactement d’avoir lu le roman qui narrait cette période et qui aurait bien pu avoir été écrit par Hervé Bazin.

En tant que médecin de famille, je me suis souvent trompée. J’ai cru des choses qui se sont avérées inexactes et j’ai énoncé des principes qui se sont trouvés démentis par leur confrontation au réel. Pourtant, il est une chose dont je suis certaine aujourd’hui et qui ne sera sans doute pas différente demain : les blessures de l’enfance ne se referment jamais entièrement. Souvent, on apprend à vivre avec, on compose, on farde, on se grime en adulte épanoui. Pourtant il reste quelque chose, tout au fond, derrière cette porte que l’on ne veut surtout plus rouvrir.

Un stigmate laid et effrayant qui pourrait bien nous faire trébucher si l’envie nous prenait de le laisser sortir de sa cage. Rien ne garantit que le temps ait le pouvoir de guérir, car j’ai rencontré des vieillards sur leur lit de mort qui étaient encore bouleversés en évoquant ces peines éprouvées dans leur jeune âge.

Je me garde la plupart du temps de donner des conseils aux autres, connaissant trop bien les difficultés et complexités d’une vie humaine. Pourtant, je vais m’hasarder ici à partager le seul qui selon moi mérite d’être formulé : « parents : prenez soin de vos enfants. Cajolez-les, consolez-les, prenez-les dans vos bras. Soyez indulgents lorsqu’ils se trompent. Acceptez ce qu’ils sont, quoi que cela puisse être. Reportez à plus tard tout ce qui vous détournerait de leur lire une histoire avant qu’ils ne s’endorment. Tous les soirs, ou presque. Aimez-les ! Aimez-les ! Aimez-les ! S’il est une vérité, c’est que rien d’autre n’a d’importance et que personne ne mérite votre attention plus qu’eux. »

Si je me suis permis cette digression, c’est pour que vous puissiez comprendre la fragilité extrême qui caractérisait Cécile depuis toujours. Ainsi, lorsque ce jour-là je vis son nom sur mon planning, je me préparai à lui offrir l’oreille la plus compatissante que j’avais dans mon répertoire. J’appelai son nom dans la salle d’attente et elle se leva, je vis alors tout de suite dans sa démarche, dans son sourire, dans sa manière d’habiter son corps que quelque chose s’était modifié. Une fois dans mon cabinet, elle prit un siège et attendit que je fasse de même. Alors, elle commença un discours hésitant, rapide et sans pause, comme si elle avait peur de perdre le courage de parler

Je n’eus pas même le temps de dégainer ma phrase introductive que je répétais habituellement à chaque début de consultation : « Dites-moi ce qui vous amène ». « — Docteure, aujourd’hui c’est un peu exceptionnel parce que je vais bien. Enfin, je ne suis pas malade. Mais je vais vous payer, bien sûr, ne vous en faites pas. Si je suis là aujourd’hui, c’est juste pour vous remercier. Depuis la dernière fois où je suis venue, je vais bien. Très bien, même. Je crois que… je n’avais encore jamais connu ça. Vous savez, ce que vous m’avez dit la dernière fois. Je suis bête, vous ne devez pas vous en souvenir, vous voyez tellement de monde. Eh bien… vous m’avez dit que vous m’admiriez. Pour tout ce que j’avais traversé, et pour ne pas m’être écroulée. Vous m’avez dit que vous n’en auriez pas été capable. Je sais que c’est faux, mais ça m’a touché. Énormément. Incroyablement. Personne ne m’avait jamais dit ça. Enfin, si mon mari bien sûr. À sa façon… vous savez les hommes… Mais ce que vous avez dit, je ne sais pas… Quand je suis sortie, j’étais… différente. Je me suis dit : « ben oui ma petite Cécile, t’es pas si nulle en fait. Maman peut dire ou penser ce qu’elle veut qu’est-ce que ça change ? Pourquoi je lui laisse encore ce pouvoir de me faire du mal ? Je suis heureuse avec mon mari, avec mes enfants. Si elle n’est pas capable de le voir, alors c’est que c’est elle qui ne vaut rien ! »Voilà ce que je me suis dit. Et c’est grâce à vous… Alors vraiment merci ! Bon, voilà j’ai déjà pris votre temps pour rien. Mais je vais vous payer !

C’est normal, c’est vingt-cinq euros, c’est ça ? Tandis qu’elle sortait son chéquier, je l’interrompis. – Madame Samazan. Vous n’allez pas me payer deux fois. Elle me regarda, les sourcils en points d’interrogation. Vous m’avez déjà payée ! Ce que vous venez de me dire, je vous garantis que ça vaut bien le prix de dix consultations. »

Voilà ce qu’est mon vrai métier. Tous les jours je soigne des déprimés, des grincheux, d’éternels insatisfaits, des gens tristes, des gens méchants. Et pour être honnête, j’en ai souvent marre et je m’imagine prendre mon grand Paul, mes deux filles, et rouler en voiture le plus loin possible de tout cela, en tentant d’oublier la souffrance et la mort. Pourtant parfois, souvent même à dire vrai, je rencontre des Cécile qui me redonnent la foi et l’énergie pour continuer.

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N
Vraiment très touchant, humain, c'c'est ce que j'ai envie de dire à mon médecin qui m'a vraiment bien écoutée jeudi. Donnez moi le titre de ce livre s'il-vous-plaît. Bravo, bravo et merci.
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B
Bonjour. Merci de votre très gentil message.<br /> Vous avez toutes les informations sur le roman ici : https://baptisteluaces.over-blog.com/2023/06/une-etoile-filante-roman.html