Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La Rényon, Mon Péi, Mon Nasyon

La Rényon, mon Péi, mon Nasyon. 

J'ai grandi sur l'île de La Réunion, et j'en suis parti pour faire mes études, puis ma vie.

Pourtant, je ne l'ai jamais quittée...

La Réunion, c'est d'abord une image. Une image à travers un hublot. Lorsque j'y retourne, après une (trop longue) nuit passée dans un avion, je suis émerveillé. Chaque fois. Le bleu soutenu de l'Océan, le blanc crénelé des nuages, et peu à peu la côte. Les nuances de vert. Les montagnes. Des silhouettes affairées que l'on peine à distinguer. Mon île. Je dis "mon île", bien que je n'y sois pas né, bien que je n'y vive plus, bien que la plupart du temps elle n'occupe pas mes pensées, bien que je l'aie quittée. Pourtant, elle m'accompagne toujours. Pourtant, La Réunion est une partie de moi. Pourtant, je crois que ceux qui n'y sont jamais allés ne me connaissent pas vraiment. Pas complétement. Un petit bout de ce que je suis leur échappe. Une aspérité de mon être. 

La Réunion est un Volcan. La lave. Le feu. Une colonie qui ne s'est jamais laissée coloniser. Le marronnage. Le Kréol. Nout lang. Le Chaudron. Ses émeutes. Le poing levé. Le Maloya. La voix des opprimés. Un chant. Une danse. Une culture. Nout Kiltir ! Danyel Waro bloquant l'aéroport pour interdire aux fachistes de débarquer. Alain Péters, Gilbert Pounia, Grèn sémé... Ne jamais baisser les yeux. Nou tien bon, nou larg pas. Non, nou larg pas ! L'insoumission faite terre. 

La Réunion ressemble à une carte postale. L'océan indien. Les Alizés. La montagne. Mafate. Mafate : une île dans l'île. Pas de voiture. Pas de moto. Nos deux pieds et nos baskets. C'est tout. Un type rencontré là bas qui a quitté la côte à quarante balais parce qu'il ne voulait plus de patron. Pour ouvrir une petite boutique et vendre deux dodos et trois macatias. Cultiver son jardin. Réparer sa maison. Travailler. Mais librement. Et puis Mafate c'est le silence. Le sablier à taille humaine. Les secondes qui s'égrainent au rythme de nos pas. La fatigue de nos muscles qui nous étreint quand vient l'heure du coucher. 

La Réunion est bercée par le chant du muezzin dans les rues de Saint-Denis. La mixité mais sans grande théorie. Le vivre ensemble. De fait. Une leçon de choses pour la métropole arrogante. Vous voulez nous apporter la civilisation ? mais VOUS êtes les barbares avec vos lois "séparatisme" et vos déchéances de nationalité. Venez. Mais pour apprendre. Kaf, Malbar, Yab, Zarab, ou Sinwa sont Créoles. Surtout Créoles. Le Zoreil aussi, s'il ne vient pas avec l'âme du colon. S'il ne va pas se planquer à Saint-Gilles en maudissant notre cuisine, notre musique et notre verbe trop haut. S'il tente d'apprendre à parler Kréol. Alors, oui il est Kréol. Zoréol. J'espère être de ceux là.

La Réunion cuisine. Tout le temps. Des épices. Du piment (appel a li "Monsieur"). Waly Dia disait se méfier d'un peuple dont la cuisine ne sent rien. En première approximation, cela me semble un bon critère de jugement ! Ti'Jacque boucané. Rougail la mori. Bred mouroum (mét pa safran dédan !). Civet zourit. La seule évocation de ces plats m'émeut. Des parfums d'enfance. Il n'y a que là-bas que je ne suis plus vraiment végétarien. Je reste croyant, mais pas pratiquant. C'est ici, en métropole que j'ai découvert qu'un pique-nique est composé de quelques sandwichs et de chips. Pour moi avant, le picnic c'était autre chose. Un cérémonial. Une tradition. Une manière d'être ensemble. Lever grand matin. Préparer les plats. Riz Zembrocal. Rougail saucisses. Carry poulet. Partir pour les hauts de Sin-Dni. Le Colorado peut-être. Réchauffer les marmites au feu de bois. Boire un rhum en attendant. Blaguer. Depuis que je n'y suis plus, il y a une chose qui n'a pas changé : je mange encore du riz tous les jours. Presque à tous les repas. Préparé à la marmite à riz. Les vrais savent. 

La Réunion se confond avec mon enfance. Des images se télescopent. Cueillir des jamblons en allant au foot. Acheter des sachets de tamarin à la boutique, et éviter le vieux boug' qui cuve sa pile plate. Les cyclones. L'alerte 1 qui annonce l'école buissonnière. Les emplettes de fin d'année en ville sous un soleil écrasant. Pour moi, Noël sera toujours associé aux grandes chaleurs. Aux coups de soleil. Aux flamboyants. Aux letchis. Ma mère et mon père, bien sûr. Ils ont tous les deux fermé les yeux sur cette terre d'accueil. Leurs cendres y ont été dispersées. Alors, comment ne pas me sentir réunionnais ? N'est-on pas toujours du lieu où reposent nos parents ? Et puis, ma sœur. Qui n'a jamais voulu quitté notre île.  Mes amis d'enfance. Partis, puis revenus. Un pied là-bas et j'aspire à plein poumons une bouffée de mes dix ans. 

La Réunion est une chimère. Un rêve éveillé.  Celui de l'exilé. J'idéalise ? Oui, et alors ? La pauvreté. La misère. Le rhum (la pas bon même). Le racisme aussi, contre les malgache, les comoriens. Ralé poussé. Mi connait tousala. Mais quoi ? Le paradis sur terre n'existe pas. Probablement qu'il n'existe ni sur terre, ni ailleurs. Exception faite peut-être des souvenirs. Alors, je m'accroche aux miens. Et bien que je sache à quel point il est déraisonnable de prendre l'avion (trop polluant, trop cher), j'y retourne régulièrement. Avec ma famille. J'ai besoin que ma femme et mes enfants connaissent La Réunion sur le bout de leurs doigts. Cette aspérité de mon être. Alors, lorsque les petits ne le seront plus, qu'ils auront moins besoin de nous, je me dis que probablement nous retournerons y vivre à deux.

Puis quand le temps sera venu, je voudrais à mon tour que ce soit sur cette terre que mes yeux se ferment.

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
O
Tro gayar dada...merci bonpé
Répondre
É
J’ai les mêmes souvenirs … mon frère allant me chercher les jamblons :-) les sachets de tamarins partagés <br /> Les moments partagés avec nos parents ou entre nous … <br /> C’est moments partagés quand tu reviens avec mes neveux qui revivent une partie de notre enfance … <br /> Merci pour ce doux rappel
Répondre